» J’ai d’autres exemples en tête, comme celui de cette femme, que j’ai connue alors que j’étais encore praticien, qui perd son fils de 14 ans d’un lymphome fulgurant, et qui me dit, au lendemain de son décès : « L’année qui vient de s’écouler a été la plus belle histoire d’amour de ma vie. Je n’ai donc pas peur de la fragilité à venir, de la vieillesse. Le philosophe a beaucoup écrit, aussi, sur cette quête qui fut la sienne. Il y a une sorte de paix, je dirais même de joie qui a accompagné la tristesse. Il démissionne de son poste de directeur du Monde des religions le 23 octobre 2013[12]. Cela m’a toujours empêché de penser qu’il y avait le mal radical d’un côté, et le bien radical de l’autre. Son fils avait compris qu’il allait mourir. Selon un classement de l'institut GfK en 2016, il est l'intellectuel français qui a vendu le plus de livres au cours des cinq dernières années[5]. Ce n’est pas le cas de mon ordinateur. Je me suis dit, quelle tristesse. J’irai alors puiser dans cette représentation de quoi m’aider, de quoi m’en sortir. Frédéric Lenoir est un écrivain, philosophe et conférencier français né à Madagascar en 1962. En revanche, j’ai des amis qui, eux, en ont perdu plein, parce qu’ils ont toujours l’impression qu’on les agresse. « L’imbécile heureux », c’est l’expression de Voltaire ! C’est vrai que la douleur peut arriver à tout moment. B. C. : J’ai un problème avec ce concept de bonheur. En revanche, sur certains sujets, je ressens aussi une nécessité de passer à l’acte… comme, par exemple, lorsqu’on dit « les gosses des quartiers sont perdus, ils ont de mauvais résultats scolaires, regardez d’où ils viennent ». On a effectivement perdu nos enracinements. Les traces ne disparaissent jamais, mais la connotation affective de la trace peut changer. Directeur du magazine Le Monde des religions, il est l'auteur d'essais et de romans historiques qui ont connu un succès international. En 1986, il entre aux Éditions Fayard comme directeur littéraire[11], poste dont il démissionnera en 1991 pour se consacrer à l'écriture et à la recherche, en tant que chercheur associé à l'EHESS. Même quand j’ai fait médecine, on continuait de me dire, parce que je ne touchais pas de bourse et que je travaillais donc en même temps, que je n’y arriverais pas. Je vais mettre en mémoire cet instant, je vais en retenir une représentation. Et je fais la même chose dans bien d’autres domaines : les personnes âgées isolées, le peuple tibétain, les femmes victimes de violences, l’environnement, l’accueil des migrants, etc. Après son baccalauréat, il suit de 1980 à 1985, des études de philosophie à l'université de Fribourg, en Suisse, où il rencontre Emmanuel Levinas et Marie-Dominique Philippe[1]. ●. Je voudrais prendre un exemple lié à une tragédie : l’histoire d’Etty Hillesum, cette jeune femme néerlandaise qui a été déportée. Quand j’étais étudiant en médecine, on apprenait à disséquer sur une petite planche en bois à partir d’animaux vivants, et on devait les fendre du sternum jusqu’au pubis. Ma femme dit que je suis un « narapoïaque » : les paranoïaques sont ceux qui pensent que tout le monde leur veut du mal, moi je pense que tout le monde me veut du bien ! Ce sont comme des traces, des cicatrices. Alors que si on a eu une enfance sécurisante, on souffre, mais on sait qu’on va rebondir, car petit à petit se fait cette représentation du « je vais m’en sortir ». B. C. : Je le pense. Elle ne voulait pas s’attacher à l’autre enfant, c’est-à-dire moi. FRÉDÉRIC LENOIR. Or, au même moment, tous les soirs, un Allemand en uniforme noir – logiquement, c’était un SS – venait s’assoir à côté de moi, me parlait en allemand et me montrait des photos d’un petit garçon qui avait mon âge. Je suis très impatient, par exemple, j’ai encore des moments où je ne supporte plus d’être dans une file d’attente : qu’est-ce que c’est bête de s’énerver pour ça ! Quand je lui lis Lacan, il couche toujours ses oreilles et remue la queue. Il fallait aussi que j’acquière un métier stable. Si vous ne l’avez pas lu, vous avez certainement vu passer sur les écrans de la télévision ses yeux bleus pétillants et sa barbe impeccablement taillée. F. L. : Bien sûr. Et avec Cioran, j’ai un point d’accord, un seul : nous aimons tous les deux Jean-Sébastien Bach ! C’est vrai que nous avons des représentations tout à fait imaginatives du bonheur, et qu’il peut y avoir une très grande part d’illusion dans le bonheur. Je crains moins ce qui m’attend que ce que j’ai surmonté. Frédéric Lenoir nous offre un joli conte initiatique truffé d'aphorismes simples, plein de sagesse, un conte qui saura aussi bien toucher les petits que les grands par ses différents niveaux de lecture. Spinoza, lui, réconcilie le corps et l’esprit. Un de mes amis est parti aux États-Unis et a été accueilli, à Philadelphie, par une famille, dont le père était camionneur. Frédéric Lenoir va sortir un livre sur l’apprentissage de la philosophie par les enfants. »Par Frédéric Lenoir, philosophe et écrivain. Directrice en charge de la levée de fonds auprès des anciens élèves de Sciences Po dans les années 2000, elle occupait précédemment un poste de conseiller au sein du cabinet du Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Et quand quelqu’un, un ami, fait un acte qui me déplaît, je me pose plutôt la question « qu’est-ce qui le fait souffrir ? Pour moi, la plus grande part de liberté que nous avons, c’est la manière dont on réagit aux événements. Actuellement, en discutant avec vous, je suis en train de vivre une « bonne heure », et on va faire en sorte que ça dure. Donc maintenant, je dirais que mes aspirations se portent plus vers les autres, vers la société. Elle avait aussi subi la perte intra-utérine de ma sœur jumelle, et donc avait eu une grossesse très difficile, qui avait été précédée par une fausse couche. » Mais cette ouverture sur la spiritualité, qui donne cette confiance aux Américains, je me demande si ce n’est pas aussi un risque de totalitarisme : c’est-à-dire qu’il n’y a qu’une seule manière d’être humain, c’est la leur, et tous ceux qui ne pensent pas comme eux ne sont pas de vrais êtres humains. Et cette représentation – celle du bonheur, ou plus exactement de la « bonne heure » – va m’aider quand j’aurai un pépin. Anne-Sophie Beauvais (promo 2001) a été directrice générale de Sciences Po Alumni et rédactrice en chef du magazine Émile. Johanna, archéologue médiéviste, tente d'y établir la vérité sur les origines controversées du culte de la sainte. Questions pratiques sur ma biographie, mes livres et les différentes conférences et interventions dans les médias Odile Jacob m’a donc offert un repas russe avec mes amis à Paris. Mais vouloir s’anesthésier en remplaçant la lucidité par le rêve de bien-être me paraît malhonnête et dangereux, comment faire pour en améliorer la rédaction, École des hautes études en sciences sociales, Prix Europe de l'Association des écrivains de langue française, L'épopée des Tibétains, entre mythe et réalité par Laurent Deshayes, Frédéric Lenoir, Livres : Frédéric Lenoir fait de Spinoza une superstar, http://www.lelivresurlaplace.fr/prix-decernes/prix-livre-et-droits-de-lhomme-de-la-ville-de-nancy/, https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Frédéric_Lenoir&oldid=176562283, Personnalité masculine française de la radio, Catégorie Commons avec lien local identique sur Wikidata, Article de Wikipédia avec notice d'autorité, Page pointant vers des bases relatives à la recherche, Portail:Sciences humaines et sociales/Articles liés, Portail:Littérature française ou francophone/Articles liés, Portail:Littérature française/Articles liés, Portail:Religions et croyances/Articles liés, Portail:Biographie/Articles liés/Culture et arts, Portail:Biographie/Articles liés/Sciences, Portail:Biographie/Articles liés/Entreprises, licence Creative Commons attribution, partage dans les mêmes conditions, comment citer les auteurs et mentionner la licence, Cofondateur de l'association « Environnement sans frontières », il est fortement engagé dans la cause écologique et écrit avec l'astrophysicien, En mai 2017, il crée l'Association « Ensemble pour les Animaux », Il est aussi le parrain de l'association pionnière dans le logement intergénérationnel, Cofondateur en septembre 2016, avec Martine Roussel-Adam, de la. On l’a d’ailleurs sur tout ! Frédéric Lenoir est parti sur les traces du sacré à travers le monde, en quête de cette expérience mystique universelle. debout, hébété. Si j’aime Spinoza, c’est parce que cet homme-là dit mieux que moi tout ce que j’ai compris de la vie ! Mais j’ai travaillé autour de cet événement, et j’ai réussi à métamorphoser la représentation de ma mémoire. Pocket, janvier 2013. Donc je dirais que cette liberté est un formidable progrès… mais quel prix à payer, c’est vrai ! Mon moyen de dépasser mes émotions, c’est d’agir. Vous savez, j’ai déjà raconté cela lors d’une conférence. Il lui faisait des déclarations d’amour, lui témoignait une tendresse infinie. Quelqu’un m’a alors pris à partie, en me disant que mon propos était scandaleux. Je connais beaucoup d’hommes politiques qui ont fait carrière avec moins que ça ! Cette réunion s’est faite avec une trentaine d’amis, des glorieux, des moins glorieux. Aux 4 coins de la planète, à travers des lieux emblématiques, l'écrivain et philosophe Frédéric Lenoir nous emmène à la découverte des héritages sacrés de notre monde. L Appel De La Femme Sauvage Select from premium Frederic Lenoir of the highest quality. Mon chien, lui, adore Lacan. B. C. : Cela m’est arrivé récemment. Avant de mourir à Auschwitz, elle a été emprisonnée au camp de Westerbork, et a rédigé des lettres qui nous sont parvenues. Sur le négationnisme non plus, je ne peux pas me taire. Et j’étais surpris de réclamer un repas russe ou polonais. En France, je pense qu’on cultive – de même qu’on est cartésien – cet esprit critique. La transmission passe par là. B. C. : Kant pense que le bonheur est un idéal de l’imagination et non pas de la raison. Et donc quand j’ai dit que je comptais faire des études, les gens ont éclaté de rire. Ça m’a mis très en colère. Mais je m’occupe aussi de beaucoup d’enfants à travers mes ateliers philo. Il sera aussi à Crans (VS) pour évoquer son best-seller La puissance de la joie. Les Américains restent profondément croyants, à 95 %, et ça donne un sens à la fois à leur vie personnelle, mais aussi à la collectivité. C’est en partie vrai, c’est en partie faux. Et donc sur la cause animale qui me tient à cœur, j’ai écrit un livre, j’ai créé une association, je milite pour essayer d’avoir un impact sur le réel plutôt que de le subir. Frédéric Lenoir découvre la philosophie par l'intermédiaire de son père René Lenoir (secrétaire d’État à l'Action sociale de 1974 à 1978 sous Valéry Giscard d'Estaing) qui lui donne à lire Le Banquet de Platon à 13 ans. Jamais je n’aurais pensé qu’on pouvait dire que six millions de morts, que ma famille… que tout cela n’était pas vrai. Ce dernier lui fait découvrir la Communauté Saint-Jean qu'il a fondée en 1975. Ils ne disparaissent pas, mais vivent en vous. En effet, il fait partie d'un groupe d'auteurs très médiatiques qui, depuis les années 2010, se sont spécialisés dans la production d'ouvrages traitant du bonheur, du bien-être, de la spiritualité, secteur particulièrement porteur dans le monde de l'édition[6]. Cela a été le départ d’un questionnement, et c’est vraiment l’imaginaire et l’intelligence qui m’ont sauvé, parce que j’étais bloqué dans mon corps et mes émotions. Parce qu’à 50 ans, ils ont résolu en grande partie leurs problèmes, ils vont beaucoup mieux avec eux-mêmes et avec les autres. Par exemple, aujourd’hui, les mères sont souvent seules, isolées avec leur bébé. B. C. : Je n’éprouve pas cela comme une déception, plutôt comme un deuil. La jeune femme sortit de sa yourte et contempla le ciel étoile. Et donc je me suis dit qu’il fallait que je le lise. Il a su faire des difficultés qu’il a vécues – cette enfance douloureuse qu’on connaît – un chemin de lumière, duquel s’est dégagée une vraie sérénité. La rencontre entre le philosophe Frédéric Lenoir et le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, organisée par Émile, fut douce, mais exigeante : parler du bonheur, du sens de la vie, questionne forcément chacun d’entre nous. Je voulais aussi, jeune, être au bord de la mer. Frédéric Lenoir est un écrivain, philosophe et conférencier français né à Madagascar en 1962. Je me disais, à cause de mon enfance, que jamais je ne pourrais séduire une femme venant d’où je viens. Parce que l’intelligent est celui qui voit tout ce qui va mal. Ce parcours, et les explications qu’il a su donner sur celui-ci ont remis beaucoup de personnes qui souffraient sur un chemin d’espoir. — Découvrez comment faire pour en améliorer la rédaction. Mais pour poursuivre cette question littéraire, c’est vrai qu’il y a une tradition intellectuelle française, depuis le XIXe siècle – je dirais de Flaubert, voire de Voltaire, à Luc Ferry – qui considère que le bonheur est quelque chose d’idiot. 1.7 – L’essentiel est invisible pour les yeux. Et j’éprouve un sentiment qui fait que je ne peux pas me taire. C’était normal qu’on me tue, puisqu’autour de moi, c’était ainsi. Être heureux, c’est être un imbécile. F. L. : Ma première motivation, au départ de la vie, c’était de trouver un équilibre dans le déséquilibre. © Association des Sciences Po 2020. B. C. : Dans ma discipline, Descartes nous a joué un vilain tour, en mettant le corps d’un côté, et l’âme de l’autre. C’est aussi quelque chose qu’il faut réparer. Auteur prolifique, il a écrit près d’une cinquantaine d’ouvrages, traduits dans une vingtaine de langues et vendus à des millions d’exemplaires. Ma mère, quant à elle, était certainement aimante, mais elle ne le manifestait pas du tout, parce qu’elle avait reçu une éducation catholique extrêmement stricte, dans laquelle il ne fallait ni toucher ses enfants ni leur dire qu’on les aimait. Frédéric Lenoir travaille souvent en binôme avec une femme, ce qui en fait sourire certains, et gagne maintenant beaucoup d'argent. Et là-dessus, je pense que la raison joue un rôle. À ce moment-là, on ajoute une autre source de mémoire, ce qu’on a fait par soi-même, ce qu’on a travaillé, ce qu’on a pensé. F. L. : Quand j’ai entendu le ministre de l’Agriculture dire qu’on ne savait pas si les animaux souffraient lorsqu’ils sont abattus ! Quand j’étais enfant, je pensais que tout ce qui m’arrivait était une malédiction… j’étais juif, j’allais donc mourir. Il a publié plusieurs ouvrages de sociologie et d’histoire des religions[2], des romans traduits dans une vingtaine de langues, des livres sur les crises du monde qui appellent à une responsabilité individuelle et collective[3] et des essais qui popularisent la philosophie auprès d’un large public[4]. F. L. : Vous prenez Boris Cyrulnik, au bord de la mer avec des fruits de mer ! Frédéric Lenoir, né le 3 juin 1962 à Tananarive (Madagascar)[1], est un sociologue, écrivain, journaliste et conférencier français, docteur de l'École des hautes études en sciences sociales. Dans cette partie de “L’Âme du Monde”, Frédéric Lenoir met les 7 sages à l’épreuve.En effet, conscients que les choses qui les séparent sont plus évidentes que celles qui les rassemblent, les sages se sentent dans l’impasse. Mais la sérénité de la jeune femme est rapidement troublée par une série de meurtres sur le chantier d'un de ses collègues à Pompéi et l'étrange Dans son dernier opus, il nous propose de découvrir cette pratique millénaire qui aide à harmoniser esprit, cœur et corps. Uniquement sur abonnement et tous les 2 mois dans votre boîte aux lettres! Frédéric Lenoir est maître dans la vulgarisation des pensées philosophiques et spirituelles. Cela dit, j’ai quand même perdu une amie pour des raisons d’argent. C’est tellement hétérogène qu’on ne sait pas ce que cela désigne. » Il faut faire une distinction entre la douleur et la souffrance : la douleur, c’est objectif (un proche décède, vous ressentez de la douleur) ; mais à la douleur peut s’ajouter la souffrance, c’est-à-dire la représentation psychique qu’on a de la douleur. Frédéric Lenoir : J’ai beaucoup d’estime et d’admiration pour Boris Cyrulnik. F. L. : Je rejoins complètement ce que dit Boris sur l’importance de la relation affective qui se délite dans nos sociétés. Maintenant, sur un plan plus personnel, je crois que le chemin intérieur que j’ai parcouru, c’est en fait une acceptation de la fragilité. J’ai commis un petit ouvrage sur le sujet pour essayer de voir comment on peut penser aujourd’hui le lien entre l’homme et l’animal, dans lequel je cite souvent Boris Cyrulnik. Ses ouvrages sont traduits dans vingt-cinq langues. F. L. : La religion n’étant plus là, c’est vrai, pour la majorité des Occidentaux, c’est plus dur à vivre. Mais vous savez, si je crois que la lucidité est nécessaire, elle ne conduit pas nécessairement au nihilisme et au pessimisme. Le bonheur viendra, en effet, comme le dit Frédéric, de la manière dont on regarde la vie. F. L. : On a fait des enquêtes, et on s’est rendu compte que les gens déclarent que l’âge auquel ils ont été le plus heureux dans leur vie, c’est entre 50 et 70 ans. J’imagine toujours que l’autre a une bonne raison de ne pas avoir agi comme je l’aurais souhaité. Historien des religions, il … Comment affirmer cela quand on les voit hurler, se débattre, gesticuler ? Pour la plupart des hommes, le bonheur ne devient concret que lorsqu'il est perdu. B. C. : C’est faux ! C’est aujourd’hui un homme de 81 ans, qui paraît éternellement jeune, et empli de cette sagesse, profonde et généreuse. Méditer à cœur ouvert, Frédéric Lenoir, NiL Éditions, 176 pages, 19 euros. L’être humain, en parlant, crée un monde de représentation… les animaux, eux, ont moins de choses à dire. B. C. : Cette notion d’animal-machine a fait beaucoup de mal aux animaux. Auteur prolifique, il a écrit près d’une cinquantaine d’ouvrages, traduits dans une vingtaine de langues et vendus à des millions d’exemplaires. Quand j’ai entendu le premier discours du genre, ça m’est tombé sur la tête. Vous continuez à vous nourrir de cette joie et de cet amour. J’attends quelque chose des autres, et s’ils ne me le donnent pas, je prends ça comme une perte. Dans son désespoir, elle a vraiment ressenti cette année comme la plus belle histoire d’amour de sa vie… Et je comprends aussi très bien Frédéric lorsqu’il nous dit que, malgré la mort, sa femme est encore présente. Et à 70 ans, c’est vrai que commencent les problèmes de santé, qu’arrive la perte de proches, etc. B. C. : Germaine Tillion dit la même chose qu’Etty Hillesum. F. L. : Ça fait 30 ans que nous débattons, avec Luc Ferry, et, en effet, nous sommes toujours en total désaccord sur ce point ! J’aspirais à la sérénité et à la joie. Et puis arrive l’adolescence, un moment qui est souvent difficile, parce que c’est le moment où l’on doit se dégager de ces traces, pour s’autonomiser. Ça leur donne un optimisme à tout vent. Jusqu’à la fin de mes études, j’ai entendu ça. La médecine, pour un enfant d’immigré, c’est se faire accepter, c’est se faire accueillir par une société qui ne m’avait pas accueilli, au départ. Un enfant qui a grandi de manière sécurisante saura mieux affronter les difficultés par les représentations du bonheur qu’il aura eues grâce à son éducation. F. L. : C’est pour ça que Spinoza nous dit que tout amour vrai, que toute joie profonde, sont éternels. Mais c'est sans compter sur le talent de Frédéric Lenoir, car une fois passé ce premier ressenti, j'ai été happée par le propos et j'ai aimé fortement ce texte. Je rejoins ce que disait Boris Cyrulnik à l’instant : j’ai eu des frères et sœurs merveilleux. L’argent, ce n’est pas simple dans l’amitié… je donne beaucoup d’argent à mes amis en difficulté, et, une fois, il est arrivé qu’à une personne qui m’en demandait toujours plus, j’ai dit non. Présentation. Mais pour moi, la colère se transforme toujours en action. Sans personne avec qui partager ma souffrance, personne pour me sécuriser, cela va être beaucoup plus difficile de dépasser ce malheur. Tous ces lieux d’enracinement se sont effacés. Prenons cette crise (le confinement) comme une opportunité d'un retour sur soi et bien sûr aussi d'une plus grande attention à ses proches : passer plus de temps avec sa famille, jouer et échanger avec ses enfants, parler au téléphone plus longuement avec ses amis sur les choses les plus essentielles de nos vies. Quand on me dit que la France vieillit, ce n’est pas vrai ! Historien des religions, il … Frédéric Lenoir : J’ai fait une thérapie de groupe pendant trois ans, à raison de cinq ou six week-ends par an. Et ça a été un grand moment de bonheur, de plaisir. Vous avez vraiment aimé quelqu’un, ne serait-ce que deux minutes, cela reste en vous pour toujours. Peut-on le lui reprocher? F. L. : J’ai vécu à ce moment-là une tristesse et une douleur immenses, surtout que c’était un décès brutal et inattendu. La rencontre entre le philosophe Frédéric Lenoir et le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, organisée par Émile, fut douce, mais exigeante : parler du bonheur, du sens de la vie, questionne forcément chacun d’entre nous.Frédéric Lenoir a beaucoup travaillé pour atteindre cette sérénité si précieuse pour affronter les fragilités de la vie. Ayant eu une enfance blessée et non secourue, je suis prisonnier de mon passé, j’ai donc une probabilité de souffrir davantage si je reçois un coup (le deuil, l’échec aux examens, une rupture sentimentale, etc.). Mais comme on l’a dit, dans un deuil, on écrit, on revoit les photos…. On n’oublie pas l’enfance douloureuse, mais on s’appuie sur autre chose. Des regardsDes rencontresDes grands formatsDes inclassables, À propos d'ÉmileLe magazineNous contacterMentions légales. Les deux cohabitent. Il ne s’agit pas de se résigner au mal. Et quand je piquais au bistouri, les animaux criaient, alors j’arrêtais tout. Boris Cyrulnik, c’est une enfance rescapée des rafles, et l’invention d’un concept, celui de résilience. J’ai moi-même lu presque tous les livres de Boris Cyrulnik, et ils m’ont beaucoup aidé dans mon cheminement intellectuel. Donc quand on blesse un enfant aujourd’hui en le déterminant ainsi dans une forme d’échec, on me blesse ! J’ai envie de parler avec eux. Mais je voudrais situer le problème de manière plus sociologique. ... Comme d'habitude Frédéric Lenoir nous emporte sur les chemins de la pensée sans qu'on y prenne garde. Mais je pense qu’on a, en effet, quitté la religion pour aller vers la spiritualité. Le défi qui nous est donné, qui est inédit dans l’histoire de l’humanité, c’est d’arriver à supporter cette liberté en apprenant à recréer des lieux de communion. Je lui ai certainement rapporté quelque fortune, puisque j’ai acheté tous ses livres ! Quand je parle avec vous, vous êtes coauteur de mon discours, vous hochez la tête, vous souriez… même sans dire un mot, vous participez à mon discours. Voici un entretien que l’on aurait aimé prolonger encore…, Propos recueillis par Anne-Sophie Beauvais, Boris Cyrulnik et Frédéric Lenoir (crédits : Aglaé Bory). F. L. : Je pense que j’étais en colère contre la vie pendant très longtemps (pourquoi ce père, pourquoi cette mère, pourquoi cette souffrance ? Cela fait 35 ans que je pratique la méditation et que je fais ce travail sur moi qui m’a permis de transformer complètement ma relation à la vie. F. L. : Je vais vous dire pourquoi je parle du bonheur… c’est parce que j’étais malheureux ! Donc, oui, il y a eu ces mains tendues, ces rencontres qui m’ont permis de grandir. Frédéric Lenoir, philosophe, sociologue, écrivain, publie en cette fin d’année un superbe ouvrage reprenant les photos et le récit de son voyage autour du monde. Il faut accepter ce sentiment d’ambivalence : il y a toujours quelque chose d’heureux à piquer même dans le malheur. Le film DES FEMMES ET DES HOMMES rend compte de l’évolution de nos sociétés sur une question fondamentale, l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce projet est né À l’occasion de la parution de son album de voyage, rencontre avec un philosophe mystique qui aime tant le Mont-Saint-Michel qu’il en a fait un roman ! F. L. : Et la condition animale, telle qu’on la connaît aujourd’hui, où les animaux sont utilisés comme des choses, c’est aussi un héritage de Descartes, qui a considéré que l’homme, étant maître et possesseur de toute chose, pouvait utiliser les animaux comme de la matière, comme on utilise les ressources naturelles. Auteur d'une cinquantaine d'ouvrages, il écrit aussi pour le théâtre et la télévision. Les enfants qui passent trop de temps devant les écrans augmentent considérablement le risque de dépression. Un jour, une jeune prof s’est approchée de moi, je lui dis : « Si je le fends, il va souffrir ! À cette époque, il découvre également la pensée de Carl Gustav Jung qui marquera son parcours intellectuel[8]. En France, il y a eu un déni culturel. Celui-ci lui a dit : « Le temple est là, l’église est là, la synagogue est là, choisis. C’est le grand défi de notre temps : trouver des spiritualités qui ne sont plus liées à un système collectif hérité, mais qui puissent nous donner en même temps un dispositif de sens qui nous permet d’avoir des raisons de vivre. B. C. : Cela commence même dès la grossesse. Soyons conscients de ce qui va mal, mais sachons aussi regarder ce que la vie peut offrir de merveilleux. Regardez la différence entre l’Europe et les États-Unis. Déjà … Cette nomade, gardienne de troupeaux, aimait l'espace infini du ciel, comme elle aimait l'étendue des steppes de Mongolie dans lesquelles elle avait presque toujours vécu. F. L. : D’abord, j’ai en partie élevé les enfants des femmes qui ont accompagné ma vie depuis une trentaine d’années. Et cette image d’ambivalence – quelqu’un qui voulait me tuer, mais qui venait me parler gentiment – m’a beaucoup protégé. Il y a plein de petites choses, chaque jour. Qui disait que les gens heureux n’ont pas d’histoire ? Et puis, il fallait absolument que je devienne écrivain, comme Georges Perec, pour, comme il l’écrit dans W ou le souvenir d’enfance, offrir une sépulture à mes parents. Ce chemin est passé par 15 ans de thérapie, et par un apprentissage philosophique et spirituel. Aujourd’hui, j’ai fait ce chemin et j’aime la vie telle qu’elle est, avec ses hauts et ses bas, avec son lot de joies et de tristesses. Frédéric Lenoir a reçu de nombreux prix en France et à l'étranger, parmi lesquels : Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre. Des ouvrages qui ont connu un fort succès en librairie. Comment va-t-on faire ? Frédéric Lenoir est philosophe et sociologue des religions. Un jour, on nous a demandé de dessiner notre corps dans le noir, en état de relaxation. – Sagesses pour notre temps, livre d’entretiens issus l’émission Les Racines du Ciel, diffusée sur France Culture de Frédéric Lenoir et Leili Anvar, Albin Michel, mars 2016. En plus de ça, Frédéric Lenoir, qui est un grand spécialiste de Spinoza, m’a réconcilié avec ce philosophe, ce qui, après ma fâcherie avec Descartes, était bienvenu…. Code ISBN / EAN : La photo de couverture n’est pas contractuelle. B. C. : Je suis pathologiquement non coléreux. Émission diffusée en 2011 sur une chaîne québécoise. Pour ma part, j’ai eu un père violent et tyrannique, qui m’a donné une injonction paradoxale, c’est-à-dire « sois quelqu’un d’important, dont je sois fier, mais surtout ne me dépasse pas ». Une nouvelle année s’ouvre devant nous, avec (au moins) 365 occasions de bâtir ensemble des solutions pour le monde de demain. En revanche, si on sécurise la mère, et qu’on l’entoure, l’enfant aura une meilleure probabilité d’être heureux. J’ai réalisé ce rêve fou. Nos sociétés sont aussi celles des machines et des nouvelles technologies, qui sont partout autour de nous, mais qui n’offrent pas, ou peu de relations sociales. Ce qui faisait qu’auparavant un individu trouvait du sens à sa vie, c’était d’appartenir à une communauté, un territoire, une église, etc. Dès l’instant où il a connu l’issue de sa maladie, sa mère l’a sécurisé. modifier - modifier le code - modifier Wikidata. Le livre est constitué de cinq tableaux illustrant le thème de la quête du sacré qui « en fin de compte, se lit plus dans un visage ou un paysage qu’à travers des mots. Une fois l’hébétude passée, je me suis dit qu’il fallait que je m’engage, parce que si je me taisais, je me faisais complice. Boris Cyrulnik : Lorsque j’ai fait la connaissance de Frédéric Lenoir pour la première fois, j’ai trouvé que l’on se parlait de manière très décontractée, spontanée, sans superficialité aucune, comme cela peut arriver dans ce genre de rencontres. Et sa mère l’a accompagné jusqu’à sa mort. Le bonheur selon les Grecs n’était pas comme notre bonheur à nous. On s’entoure de photos, on grave son nom sur une pierre, on écrit aussi pour moins souffrir de la perte. Et je n’ai jamais ressenti le besoin, biologiquement, de me reproduire. J’ai donc eu une ambition forte, mais je me tirais une balle dans le pied dès que je commençais à réussir. Elle pense à la mort, ne veut plus lutter… Et elle nous raconte : « J’ai cessé de souffrir quand j’ai vu le bleu du ciel, en hiver, à Ravensbrück. Dans ces lettres, elle écrit que, malgré les traitements inhumains qu’elle subit, ses bourreaux ne peuvent lui enlever ni l’amour qu’elle a de la vie ni sa joie intérieure. Parce qu’il m’éclaire sur une manière sombre de regarder l’humanité. Et ce qui fait qu’après une vingtaine d’années de quête et de travail sur moi, j’ai appris à aimer la vie de manière inconditionnelle. B. C. : Je dirais que le vrai tranquillisant, le vrai antidépresseur, c’est la relation affective. B. C. : Quand j’ai été arrêté, en prison, pendant la guerre, j’ai compris que ma famille avait disparu et qu’on allait me tuer.